CHAPITRE PREMIER
Obi-Wan Kenobi et Qui-Gon Jinn descendirent de leur véhicule. À peine eurent-ils posé le pied sur la planète Gala qu’une navette s’immobilisa devant eux dans un ronronnement.
Le panneau d’accès coulissa en silence, et une passerelle se déplia. Le pilote, vêtu d’une tunique et d’un pantalon bleu marine, se précipita hors du véhicule pour se poster à côté de la porte grande ouverte. Obi-Wan aperçut une cabine fort luxueuse.
– La reine Veda met son vaisseau personnel à votre disposition, annonça le pilote.
– Veuillez remercier la Reine de sa courtoisie, répondit Qui-Gon en s’inclinant. Mais il fait si beau que nous préférons nous rendre au palais à pied.
L’homme parut décontenancé.
– Mais la Reine m’a chargé de…
– Merci, dit fermement Qui-Gon, plantant là le pilote.
Obi-Wan suivit son Maître. Il savait que la décision de Qui-Gon n’avait rien à voir avec le temps. La mission d’un Jedi débutait au moment où il débarquait sur une nouvelle planète. Il lui fallait concentrer tous ses sens sur son environnement. Être ainsi conscient de ce que transmettaient l’ouïe, la vue, l’odorat et le toucher contribuait à canaliser la Force. On disait que certains Maîtres visualisaient le déroulement tout entier de leur mission rien qu’en faisant quelques pas sur un monde nouveau.
À treize ans, Obi-Wan n’était pas un Maître – ni même un Chevalier Jedi –, loin s’en fallait. En tant que Padawan, il avait encore bien du chemin à parcourir. Mais même un simple apprenti percevait les sourdes secousses qui se propageaient sous la surface placide de Galu, la capitale de la planète Gala. Si Obi-Wan n’était pas en mesure de voir les différentes phases de la mission jusqu’à son dénouement, il sentait cependant qu’ils ne l’emporteraient que de haute lutte.
Ils quittèrent le spatioport et abordèrent les grands boulevards de la ville. Galu était bâtie sur trois collines. Visible de partout, le palais, d’un blanc étincelant, se dressait au sommet de la plus haute.
Gala avait jadis été une planète prospère, le joyau de son système solaire. Elle comptait toujours une classe de citoyens fortunés, mais le fossé entre riches et pauvres s’était considérablement creusé. Alors que des véhicules individuels presque aussi somptueux que celui de la Reine sillonnaient les cieux, des mendiants quémandaient leur nourriture dans les rues.
Au cours de sa dernière mission, Obi-Wan avait fait une halte éclair sur Galu. Il avait déjà noté les signes de décrépitude que montraient les édifices autrefois imposants. La pierre, effritée, érodée, n’avait pas été restaurée. Les gracieux lindermors qui fleurissaient naguère le long des larges avenues, à présent étiolés et tordus, jaillissaient du sol tels des doigts griffus.
– La Reine a pris la bonne décision, remarqua Qui-Gon. Ces élections devraient stabiliser la planète. Il est temps que Gala devienne une démocratie.
– Plus que temps, me semble-t-il, convint Obi-Wan. A votre avis, qu’est-ce qui a décidé la Reine ?
– La guerre civile menaçait. Les souverains de la dynastie Tallah sont à la tête du pays depuis un millénaire. À un moment donné, leur règne a été prospère. Mais le pouvoir peut corrompre. Après la mort du roi Cana, la Reine a compris que la monarchie ne tenait plus qu’à un fil. Elle a préféré céder à la volonté du peuple en instituant des élections.
– Et c’est pourquoi le prince Beju, son fils, représente une menace potentielle, ajouta Obi-Wan. D’après vous, comment va-t-il réagir en nous voyant débarquer ?
Il y avait quelques jours à peine, les Jedi avaient contrecarré les plans du Prince, qui voulait devenir un héros aux yeux du peuple galacien. Beju avait provoqué une pénurie de bacta sur Gala, une substance utilisée pour guérir les blessures et régénérer les tissus endommagés, dont les propriétés miraculeuses permettaient de sauver de nombreuses vies humaines. Après avoir créé artificiellement ce manque, le Prince avait conclu un marché avec le Syndicat, un groupe politique illégalement constitué sur la planète voisine Phindar, afin de récupérer une partie du bacta. Obi-Wan avait déjoué la machination en se faisant passer pour le Prince et en aidant les Phindiens à démanteler le Syndicat.
– Je doute qu’il m’accueille à bras ouverts, continua Obi-Wan. Après tout, je l’ai bel et bien kidnappé !
– S’il s’oppose à nous, fit observer Qui-Gon, il a beaucoup à perdre. Peut-être a-t-il reçu de l’aide pour ourdir son complot, mais elle ne provenait certainement pas de la reine Veda. Si nous taisons ce qui est survenu sur Phindar, nul doute que le Prince tiendra lui aussi sa langue.
– Parfait ! dit Obi-Wan.
– Mais il nous considérera toujours comme des ennemis, ajouta Qui-Gon.
Obi-Wan réprima un soupir. Qui-Gon avait le don de souffler le chaud et le froid ! C’était sa façon de montrer à Obi-Wan que rien n’était jamais définitif, que tout restait fluide, en mouvement. « Ne table jamais sur quoi que ce soit, sinon la certitude du changement », lui disait-il souvent. Et il avait invariablement raison.
Soudain, Obi-Wan perçut une perturbation dans la Force, telle une onde ténébreuse.
– Oui, chuchota Qui-Gon.
Ils s’arrêtèrent. La rue dans laquelle ils venaient de s’engager était déserte. Puis ils entendirent des cris.
Sans échanger un mot, les deux Jedi se dirigèrent comme un seul homme vers l’origine des clameurs. Ni l’un ni l’autre ne tira son sabre laser, ne porta même la main sur la poignée. Mais tous deux étaient sur le qui-vive, prêts à toute éventualité.
Tout à coup, une bande de Galaciens surgit à l’angle de la rue, venant droit sur eux. Tous brandissaient des pancartes à cristaux liquides où se lisait le mot deca.
Obi-Wan se détendit. C’était un défilé de manifestants. Deca Brun était l’un des candidats au poste de Gouverneur de Gala.
– La démocratie est déjà à l’œuvre, dit-il.
L’inscription vira au doré, puis au bleu sous les acclamations de la foule. Mais Qui-Gon restait sur ses gardes.
– Il y a autre chose, murmura-t-il.
Il pivota pour regarder derrière lui. Débouchant d’une ruelle adjacente, un nouveau groupe se déversa sur le boulevard, brandissant des banderoles au nom de wila prammi.
– Wila Prammi, le troisième candidat, remarqua Obi-Wan.
Yoda leur avait parlé des deux adversaires du prince Beju.
Les supporters de Deca Brun se lancèrent en avant tandis que les partisans de Prammi se portaient à leur rencontre. Obi-Wan et Qui-Gon se retrouvèrent au beau milieu de la mêlée. En un clin d’œil, les pancartes se muèrent en matraques et les deux clans rivaux s’affrontèrent dans un déluge de coups de pied et de coups de poing.
Obi-Wan regarda Qui-Gon. Inutile de tirer leurs sabres laser : les manifestants n’avaient pas de blasters. Et pourtant, coincés au cœur de la bagarre, les Jedi étaient en danger.
Un Galacien trapu, levant haut une pancarte, se rua brutalement sur Obi-Wan. Plongeant aussitôt pour éviter le coup, celui-ci roula sur lui-même et se releva quelques mètres plus loin. La pancarte ricocha sur l’épaule d’un manifestant.
Deux partisans de Deca saisirent les bras de Qui-Gon cependant qu’un troisième ramenait son poing en arrière pour lui décocher un swing. Qui-Gon fit appel à une technique d’esquive Jedi classique : il se contorsionna tout en frappant de la tête. Les deux assaillants, les oreilles carillonnantes et les bras en compote, le cherchèrent des yeux. En vain. Qui-Gon avait déjà rejoint Obi-Wan sur la ligne de touche.
– Nous n’avons rien à faire ici, dit-il. Filons. Une partisane de Wila Prammi fit un croche-pied à un adversaire avant de lui fracasser le crâne.
Les Jedi s’empressèrent de croiser au large.
– La route qui mène à la démocratie est parfois rude, déclara Qui-Gon, particulièrement sur Gala, semble-t-il.